Mardi, je vous laissais sur votre faim, aux portes de la fameuse Barranca del Cobre : la Bee venait effectivement de franchir un premier pont suspendu, avant d’emprunter le « sentier touristique » partant de Divisadero et surplombant les canyons.

Nous avons cheminé avec légèreté sur cette promenade, sondant d’un oeil les vertigineux canyons dans lesquels nous allions descendre : notre terrain de jeu pour les quelques jours à venir.

Avez-vous déjà eu l’impression d’être face à un obstacle insurmontable ?

La première fois que j’ai vu le massif de la Chartreuse – en préparation de l’UT4M, un bloc minéral posé sur des prairies, je me souviens avoir dit à mon coach trail Nicolas : « Mais il est impossible d’accéder à ce sommet ! ».

Comme vous le savez, je suis Limousine et ai des origines bien terriennes : le milieu montagnard m’était jusqu’à l’année dernière inconnu.

Je disais détester la montagne parce qu’elle me faisait peur, parce que j’avais le vertige et que dans mon esprit, on montait presque en escaladant pendant les courses.

J’ai découvert cet univers avec un amoureux de la nature et après avoir fait tout un travail sur mon vertige que j’ai d’ailleurs poursuivi pour l’Ultra Run Raramuri : mon expérience sur l’UT4M a été une vraie révélation.

Je me suis rendu compte qu’on ne descend pas en rappel sur les trails et qu’on ne fait pas de l’alpinisme, qu’on se le dise !

Ouf, parce que je ne me sens pas encore vraiment prête pour cela comme vous vous en doutez.

Mais mon expérience dans cette Baranca dépassait véritablement tout ce que j’avais pu imaginer…

Un quatuor déterminé

arche

Si les douze premiers kilomètres nous ont semblé plutôt aisés, Jean-François nous avait prévenus de ne pas trop nous emballer : il est difficile pendant les 82 premiers kilomètres de courir, d’autant plus que le parcours est hors-piste.

De notre point de départ, notre hôtel Lolita Cabanas, jusqu’au CP1 à Guitayvo, nous avions 35 kilomètres à parcourir : ils nous ont permis de prendre la mesure de ce qui nous attendait…

Dans l’euphorie du départ, la Bee s’est senti pousser des ailes jusqu’au parking du téléphérique, mais en quittant la piste, elle a vite pris conscience de ce qui l’attendait : après un terrain sablonneux, le parcours s’est vite transformé en amas de rochers – un remake des 25 bosses de Fontainebleau, mais avec beaucoup beaucoup plus de bosses ! – et nous avons abordé une montée de plus de 10 kilomètres, très difficile.

Des groupes se sont créés spontanément : nous avons formé un quatuor infernal, Delphine, Benoît, Bertrand et moi, alternant course sur les portions de descentes et à peu près plates, et marche rapide dans les rochers et les montées.

Notre bonne humeur et notre excitation nous ont permis de cheminer en plein cagnard sans trop souffrir dans un premier temps.

Par forte chaleur, la principale difficulté réside dans l’hydratation : pendant le Half Marathon des Sables de Fuerteventura, j’avais pris conscience de l’importance de boire quelques gorgées régulièrement, sans attendre la sensation de soif.

La chaleur étant assez accablante, j’ai sagement respecté un écart d’une dizaine de minutes entre chaque gorgée. J’avais pris 2,5 litres d’eau ce qui me paraissait amplement suffisant.

L’une des difficultés de l’Ultra Run Raramuri réside dans le fait que les CP sont très éloignés les uns des autres : en s’hydratant correctement, il est donc difficile de les atteindre sans avoir rechargé ses gourdes dans des points d’eau indiqués sur le roadbook.

On est bien loin du confort de la plupart des courses où l’eau est disponible dans des ravitaillements fort rapprochés !

J’ai découvert l’utilisation des pastilles Micropur qui donnent un goût de piscine fort chlorée à tes bidons et à ton eau, mais qui sont indispensables au regard des eaux croupies – je n’ose repenser à ce trou d’eau avec une bouse dans lequel j’ai dû recharger !- qui constituent les seules réserves.

Nous avons parcouru de magnifiques paysages, dont cette fabuleuse arche rocheuse sur la photo…

Si beaux que la Bee contemplatrice que je suis a laissé très vite son esprit rêvasser : erreur fatale !

J’ai appris malgré moi que sur une course en hors-piste de cette teneur, une erreur d’attention peut être fatale : vers le vingtième kilomètre, mon pied, dans une descente, a heurté un énorme rocher, engendrant une douleur intense et lancinante.

Un cri de douleur ! Un échange de regards ! Delphine a compris que l’incident est sérieux. Je ne dis rien – par fierté ? Orgueil ? – mais je comprends et je sens à ce moment là que ma course a des chances d’être compromise.

Delphine ne dit rien, mais a le même ressenti : elle m’avouera plus tard avoir préféré se taire pour ne pas en rajouter, je l’en remercie d’ailleurs.

Avez-vous remarqué, dans certaines situations, comme nous sommes bons donneurs de leçons ?

Lorsque mon fils, intrépide, jouait au cascadeur dans les premières années de sa vie et prenait d’impressionnants gadins, je contenais mon anxiété en n’accordant en apparence que peu d’importance à ses petits accidents, alors qu’au fond de moi, je bouillais d’inquiétude : parfois, il se relevait et faisait abstraction du bobo, parfois il fallait appeler le 15 !

La stratégie de Delphine, digne de celles que je pratiquais avec mon chérubin, a bien marché : tout le monde a repris la course, sans rien dire.

Que faire ? Je n’allais tout de même pas rendre les armes au début d’une si merveilleuse aventure ?

J’ai essayé de bouger mon orteil tout en courant, une douleur insupportable traversait mon pied : fracture ? Non, ma souffrance semblait plutôt venir de l’ongle.

Mon côté Bee girly s’est alors réveillé : zut ! J’étais quitte à avoir un ongle noir dans le meilleur des cas, ou un orteil à vif.

Adieu les pieds de Bee sexy sur la plage cet été ! Il allait falloir user de ruses.

J’ai chassé mes idées négatives en me concentrant sur le parcours et les paysages aux alentours : une nature à la fois hostile et intrigante, sauvage, avec un sol jonché de roches coupantes.

Mais le paradis se mérite et il nous restait quelques kilomètres avant de l’atteindre…

Un premier CP ombragé

enfnts qui jouent

Nous sommes parvenus sous une chaleur écrasante au CP1 de Cuitayvo, après avoir longé un immense plateau.

Les Indiennes présentes nous ont proposé un verre de coca, de la viande séchée et des pots de soupe déshydratée.

Nos comportements sont parfois surprenants lors de telles aventures : on ôte ses barrières, on bouleverse ses convictions, on se révèle.

Je ne bois jamais de coca, par goût et parce que cette boisson est liée à un souvenir traumatisant.

Mais avec cette chaleur et mon ventre gargouillant depuis plusieurs heures, j’ai suivi mon intuition : quel bonheur de sentir la fraîcheur de cette multitude de petites bulles !

Sujette en temps normal aux problèmes d’intestins sur les ultras, j’ai l’impression que d’avoir bu quelques verres pendant la course a eu un effet bénéfique. J’ai aussi pris un pot de soupe déshydratée, plus pour m’alimenter que par goût.

Puis je suis allée voir les petits indiens qui jouaient sous les arbres de ce CP : une conversation muette par gestes, quelques échanges de regards empreints d’une curiosité réciproque. Une photo !

Nous n’avons pas fait une trop longue pause, car nous avions un objectif commun très clair en tête : lorsque Jean-François nous avait détaillé le roadbook quelques jours plus tôt, un point avait retenu toute notre attention.

Nous devions en effet nous rendre au fond d’un canyon où serpentait un magnifique rio, aux eaux pures et limpides et nous avions pour ambition d’y arriver avant la tombée de la nuit, d’autant plus qu’il fallait le traverser à l’aide d’une corde sur environ 300 mètres.

Jean-Pierre Giorgi qui avait fait la course l’année précédente m’avait fait rêver en évoquant ce passage : mon imagination avait immédiatement replongé dans les classiques étudiés au lycée avec le mythe du bon sauvage.

Imaginez le privilège de se retrouver dans un tel endroit, au milieu – ou plutôt au fond – de nulle part, foulé seulement par une poignée d’hommes !

Deux journalistes, venues faire un reportage sur la course, Emma et Fabienne, ont décidé de nous accompagner entre les 2 CP, mais chargées de leur matériel, nous les distançons assez rapidement.

21 kilomètres nous séparaient du CP2 que nous comptions atteindre vers 21 heures.
Nous avons foulé un superbe parcours, très technique et très glissant, en descente.

Une fois de plus, pas question de laisser son esprit divaguer : un deuxième heurt dans un rocher m’a rappelée à l’ordre et a amplifié ma douleur à l’orteil déjà bien présente.

La chaleur me tape sur le système, je bois plus de gorgées espérant rapidement atteindre le paradis tant attendu pour faire des réserves.

Mais si à maintes reprises on en a entendu le doux ruissellement, nous ne l’avons atteint que tardivement.

Je trébuche plus fréquemment et sens la déshydratation poindre : je n’ai plus d’eau et pas le moindre point indiqué aux alentours par le roadbook.

Delphine me donne une petite gourde : est-ce la douleur ou la chaleur qui m’ont fait perdre la notion du temps ?

Alors que je m’interroge sur ma gestion de l’eau, Delphine m’appelle : elle vient de trouver notre championne, Catherine, en larmes, en contrebas du sentier.

Cette dernière, dépitée, nous explique qu’elle a eu un coup de chaud, une insolation et qu’elle ne sait si elle va poursuivre l’aventure.

Nous la motivons pour qu’elle vienne avec nous jusqu’au rio qui est proche : nous sommes tous pressés d’arriver à ce paradis…

Au coeur du paradis

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Enfin, nous l’atteignons et il est à la hauteur de mes espérances : imaginez un sable blanc, sans traces, baigné par le clapotis du rio, parsemé de quelques rochers. Une nature vierge.

Cette image restera longtemps gravée dans ma mémoire et donnera certainement lieu à bien des séances de méditation.

Nous nous arrêtons et j’en profite pour étancher ma soif : j’étais au bord de la déshydratation et ce cours d’eau salvateur, le rio Urique, m’a comblée.

Il est malheureusement trop tard pour songer à se baigner – un de mes délires de Bee déjantée – car nous allons reprendre de l’altitude pour aller jusqu’au CP2 et les nuits sont fraîches, mais nous nous consolons en nous disant que la traversée du rio avec la corde nous servira de séance de cryothérapie.

Bertrand enfile ses aquashoes – un moment mémorable qui lui a valu quelques boutades – alors que le reste de la troupe décide de garder ses chaussures : intérieurement, je me dis que la fraîcheur de l’eau peut avoir un effet anesthésiant sur ma douleur.

Je profite pleinement de cette traversée, semblable à une exploratrice des temps modernes qui découvrirait une terre inconnue.

L’eau qui m’arrive à mi-cuisse réconforte et apaise mes muscles endoloris.

Pour mon pied, c’est une autre histoire !

Catherine me demande de l’aider à remettre ses chaussures, ses crampes lui génèrent des douleurs insupportables. Je lui donne les derniers cachets de mon tube de Sporténine.

Puis nous décidons d’avancer avec Delphine et Benoît, comme la nuit descend peu à peu dans le canyon : nous allumons nos frontales pour gravir une longue montée très éprouvante de 8 kilomètres.

La fatigue se fait sentir, les pauses sont plus rapprochées : nous essayons avec Delphine d’alterner pour la reconnaissance du sentier.

Nous nous perdons un peu mais finissons par apercevoir les lumières du village : elles nous semblent proches, mais les apparences sont trompeuses.

Je suis éreintée et n’ai qu’une hâte : manger.

Je me rends compte que la configuration du parcours a changé : nous évoluons sur des singles fort étroits et même si je ne distingue pas grand chose, je sens que le vide est proche.

Quelques kilomètres plus loin, nous distinguons la silhouette et la voix de Charlotte, une des charmantes étudiantes kinésithérapeutes sur la course, qui vient nous accueillir.

Il est 20h15 et nous décidons avec Benoît et Delphine de faire une pause d’une heure avant de repartir et de courir à la fraîche.

Mais les choses ne vont pas totalement se passer comme prévu…

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Suite à venir…

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